La terrible équation française sur l'énergie
Le cadre dans lequel la société française va devoir inscrire sa trajectoire reposera sur le nucléaire, même si son poids est moins important, et sur le renouvelable qui devra avoir une part beaucoup plus important qu’aujourd’hui.
Le parc nucléaire vieillit et ne sera pas renouvelé rapidement. Pour satisfaire à une demande galopante, le seul moyen, dans le cadre de la transition énergétique, sera d’investir massivement dans l’éolien et le solaire. C’est cette évolution de l’équilibre entre offre et demande d’électricité qui est à risque au cours des 10/15 prochaines années. Elle reflète une impéritie politique sur l’énergie depuis une trentaine d’année.
La France a pris du retard dans la mise en œuvre des énergies renouvelables. Elle est le seul pays de l’Union Européenne à n’avoir pas rempli, en 2020, les engagements pris en 2008. Le nucléaire, qui a longtemps servi de paravent à toutes les questions sur l’énergie, ne pourra bientôt plus tenir le rôle qui a été le sien historiquement.
Le parc vieillit et n’a pas été remplacé à temps. Pour maintenir les objectifs de convergence vers la neutralité carbone, il va falloir que la France accélère la mise en œuvre des énergies renouvelables dans la production d’électricité notamment. Ce sera d’autant plus important que la demande d’électricité va augmenter par la multiplication des usages (voiture électrique par exemple).
Le cadre dans lequel la société française va devoir inscrire sa trajectoire reposera sur le nucléaire, même si son poids est moins important, et sur le renouvelable qui devra avoir une part beaucoup plus important qu’aujourd’hui.
L’état des lieux
Le point de départ est la structure de la consommation d’énergie primaire en France. Depuis les années 1970, la consommation d’énergie nucléaire a réduit de façon significative l’utilisation des énergies fossiles. Celles ci ne représente que 50% de la consommation primaire d’énergie contre 90% dans les années 1960.
La part du nucléaire représente désormais un peu moins de 40% de la consommation d’énergie primaire.
Au sein des énergies fossiles, le pétrole, même si son poids s’est franchement réduit, est encore majoritaire et le charbon a presque disparu. Sur l’ensemble de la période, le gaz augmente de façon continue.
Le poids du renouvelable est toujours marginal en 2021, passant juste au dessus de l’hydraulique à 7.9% de la consommation primaire. A titre de comparaison, en Allemagne, cette part était en 2021 à 18%.
La question qui nous intéresse ici est celle de la production d’électricité.
Cette source d’énergie, transformée, va être importante dans les prochaines années puisque c’est en grande partie à travers cette énergie que l’économie va se décarboner. Dans les projections faites par BP et publiées récemment à l’échelle du monde, le poids de l’électricité passerait d’un peu moins de 25% actuellement à plus de 50% en 2050 si l’économie mondiale se cale sur la trajectoire associée à la neutralité carbone. Ce serait un peu moins de 35% en suivant la tendance actuelle.
Pour la France, RTE table, en 2050 sur 55% d’électricité dans la consommation finale d’énergie, contre 27% actuellement. C’est donc sur ce thème de l’équilibre du marché de l’électricité que la discussion va être majeure.
Actuellement, la production d’électricité est assurée à un peu plus de 60% par le nucléaire et à un peu plus de 20% par le renouvelable . Le nucléaire et le renouvelable ont évolué en miroir depuis le début de la dernière décennie. La part du nucléaire se réduit au moment où celle du renouvelable augmente. Le renouvelable reste néanmoins réduit.
La question nouvelle
En France, le nucléaire divise et les discussions sur cette source d’énergie reflètent des points de vue souvent incompatibles. De la sortie à tout prix au maintien de la filière pour des raisons d’indépendance énergétique, la discussion est sans fin et finalement assez peu efficace.
A court terme, la France ne peut pas se passer du nucléaire pour ses besoins d’électricité. Il n’y a pas d’alternative sauf à réduire de façon drastique la production d’électricité, ce qui ne parait pas envisageable.
On peut objecter l’exemple de l’Allemagne qui a très vite bifurquer sur le renouvelable et réduit le nucléaire. Simplement, outre-Rhin la part du nucléaire dans la production d’électricité n’a jamais été aussi importante qu’en France. Les deux pays ne sont pas comparables.
La problématique française est celle de la durée de son parc nucléaire.
Des hypothèses doivent être faites sur la durée de son utilisation. On retient souvent une durée de 40/50 années pour les centrales. Pour des constructions qui datent des années 1970 et du début des années 1980, l’échéance est proche.
Une partie de la production risque de disparaître à l’horizon 2035 si cette durée d’exploitation est maintenue. Cela se traduirait par une réduction significative de la production d’électricité par le nucléaire. A cet échéance de 2035, les projets de nouvelles centrales ne seront pas forcément disponibles. Le temps de construction est toujours plus long que ce qui est attendu.
Cela peut provoquer une incitation à prolonger la durée de vie du parc nucléaire. EDF et le gouvernement évoquent la possibilité de 60 ans. Les américains évoquent la possibilité d’exploiter les centrales jusqu’à 80 ans. Cela peut paraître excessif au regard de l’entretien nécessaire comme on a pu le voir en France en 2022.
Allonger la durée d’utilisation permettrait d’accroître la capacité à produire en attendant l’arrivée des nouvelles centrales promises par le président Macron. Mais ce serait néanmoins insuffisant pour satisfaire à la demande.
Pour dire les choses autrement, la capacité actuelle du parc nucléaire est de 61 gigawattheures. L’hypothèse basse en termes de durée ramènerait cette capacité à 20 gigawattheures à partir de 2035 en attendant les nouveaux réacteurs. Elle serait de 40 gigawattheures si la durée est de 60 ans.
Cette donnée sur la durée sera définie par l’Agence de Sureté Nucléaire et non par EDF ou le gouvernement.
La problématique simple
RTE espère une production de 350 térawattheures en 2035 plus les 10 à venir de Flamanville. Ce chiffre se compare aux 297 TWh de 2022 et aux 380 de 2021. Sauf qu’en 2035, la consommation d’électricité sera bien plus élevée qu’actuellement en raison d’usages de l’électricité beaucoup plus importants. Elle représenterait 55% de la consommation finale d’énergie contre 27% actuellement.
A l’horizon 2035, RTE s’attend à une consommation d’électricité à 540 térawattheures dans le scénario moyen avec 500 qui serait le point bas et 620 le point haut. Dans tous les cas, la production nucléaire serait insuffisante. Il faudra trouver 150 à 270 térawattheures pour satisfaire à la demande.
La production disponible en 2022 pour le renouvelable est voisine de 60 térawattheures (éolien et solaire)
L’écart est la mesure de ce qu’il va falloir construire, comme infrastructure d’énergies renouvelables, pour éviter de se retrouver en difficulté dans une dizaine d’années. C’est là que le retard pris par la France et évoqué en début de ce post est préoccupant. Les choix parfois un peu aléatoires qui ont été faits vont obliger à faire des investissement considérables très rapidement. Cela obligera aussi à arbitrer sur d’autres investissements au risque de pénaliser le bien être collectif à terme.
L’enjeu est d’investir massivement dans le renouvelable pour éviter toute discontinuité dans l’approvisionnement. Ce sont des choix politiques qui doivent être faits.
Il n’est pas envisageable de sortir rapidement du nucléaire et le renouvelable est indispensable sur une échelle bien supérieure à ce qui a été fait jusqu’à présent. Il faut en outre aller très vite pour disposer d’une offre suffisante. Pour l’instant, outre Saint Nazaire, le nombre de projet se compte sur les doigts des deux mains alors que pour clore l’écart avec les besoins il en faudrait entre 50 et 90 pour réduire le déséquilibre. Les projections du gouvernements sont sur 50 sites pour une puissance de 40 gigawattheures à l’horion 2050. C’est encore insuffisant et il faudra développer davantage l’éolien terrestre et accroître encore la part du solaire.
Il faut changer d’échelle et se caler sur une nouvelle trajectoire.
A côté de la recherche de cet équilibre entre offre et demande d’électricité, il y a aussi la performance de la France vis à vis de ses voisins. Le graphe traduit bien le retard pris.
Par rapport à l’Espagne, l’Allemagne et le Royaume Uni, la France est en situation de faiblesse. Dans les discussions qu’il y aura pour converger vers la neutralité carbone, la position française n’est pas la plus enviable.
Le rapport de force ne sera pas favorable à la France.
En outre les dépenses considérables à mettre en œuvre ne s’arrêteront pas là car il faut aussi déployer le réseau qui fera circuler cette électricité produite sur ce point les montants donnent le tournis selon Bloomberg NEF (New Energy Foundation) ce ne sont pas moins de 21.4 milliers de milliards à investir d’ici à 2050 dans le monde. Les investissements annuels devront passer de 274 mds de dollars à 871 mds pour avoir un circuit électrique mondial répondant aux attentes.
Il va falloir faire évoluer la préférence pour le futur de tous les acteurs de l’économie.
En guise de conclusion
Les énergies renouvelables doivent, dans un futur proche, être une source majeure de l’électricité en France. Le nucléaire conservera un rôle essentiel mais il devra être épaulé par l’éolien et le solaire.
Cela pose plusieurs questions:
Les sites notamment d’éoliennes font l’objet de recours systématiques pour en éviter l’installation. Le retard pris est important.
Cette question est très proche de celle de la réindustrialisation. Chacun est en faveur d’un retour de l’industrie française en France mais personne n’en veut à côté de chez lui. On ne veut pas d’usines et l’on ne veut pas d’éoliennes.
Les difficultés administratives ne sont pas aplanies. On l’a encore vu récemment avec l’annulation de l’appel d’offre par la CRE sur des champs d’éoliennes terrestres. Un vice de forme sur le financement n’a permis que d’attribuer 54 mégawatts contre 925 qui étaient proposés. Cette question du temps administratif est du même type que celui évoqué dans la réindustrialisation. Dans l’enquête Doing Business de la Banque Mondiale indique qu’il faut deux fois plus de temps pour construire un entrepôt en France qu’en Allemagne et trois plus que dans les pays scandinaves. Espérons que la loi sur le renouvelable votée en février dernier permettra d’alléger ces contraintes.
Enfin, il y a une vraie dimension politique sur le dossier. Le récent rapport de la Commission d’Enquête sur l’indépendance énergétique de la France fait état d’une impéritie du pouvoir politique depuis une trentaine d’années. La question de l’énergie n’a jamais été jugée comme majeure mais qu’elle était un enjeu purement politique. La France a perdu beaucoup de temps et une grande capacité d’autonomie dans ses modes de décisions.
L’offre de nucléaire dans les 10/20 années qui viennent sera plus réduite que celle constatée actuellement. Il faut accélérer la transition vers le renouvelable sous peine d’être contraint dans notre consommation d’énergie soit parce que la France ne sera pas capable de produire ce dont elle a besoin soit parce qu’elle dépendra des exportations d’électricité de ses partenaires économiques.
Ce n’est pas dans ces conditions que l’on peut décider sereinement de la politique économique à suivre. C’est pour cela que le basculement vers le renouvelable est avant tout un projet politique qui ne renie pas la nécessité du nucléaire.