La terre bouillonne et divise les sociétés
La multiplication des évènements climatiques reflète l’accentuation du changement climatique lié à l’activité humaine. Chacun y est désormais confronté. Cette urgence climatique modifie en profondeur les comportements au risque de diviser les sociétés occidentales.
Au cours des 120 000 dernières années, aucun mois n’a été, sur terre, aussi chaud que ce mois de juillet 2023.
Antonio Gutterres, le secrétaire général des Nations Unis aux propos toujours très vigoureux sur le changement climatique, indiquait que l’ère du réchauffement climatique était terminé mais que l’ère de l’ébullition mondiale était arrivée.
Le mois de juillet est historiquement le plus chaud de l’année. Le graphe montre la température moyenne de chaque mois de juillet depuis 1979.
La multiplication des évènements climatiques crée une rupture en 2023.
Les vagues de chaleur sont plus nombreuses et plus intenses. Les records de chaleur ont été pulvérisés en Chine, en Italie, en Iran, aux Etats-Unis ou encore dans le nord de l’Afrique. L’hiver dans les Andes s’est transformé en été torride. Au Canada, la multiplication des incendies a provoqué une hausse spectaculaire des émissions de CO2 et fortement voilé le rayonnement du soleil.
Ces températures records ont été accompagnées par des pluies et des inondations sans précédent à Pékin ou encore à Dehli.
Le cycle de l’eau est très perturbé aussi par ce changement climatique car les océans sont les plus importants absorbeurs de chaleur. Et ils n’ont jamais été aussi chauds.
Cette chaleur engendre de la vapeur d’eau sur une grande échelle accentuant l’effet de serre. La dynamique ainsi crée s’autoalimente provoquant alors des conditions météorologiques extrêmes.
C’est en cela que la période est une phase de rupture. Le graphe sur la température des océans la traduit bien, ci-dessous.
On peut faire deux remarques
La première remarque est que la température constatée est très au-dessus de sa moyenne historique voire de sa moyenne plus 2 écart types (la probabilité d’atteindre cette zone est de juste 2.5%). Or ce phénomène dure depuis le début de 2022. Pour prendre une mesure du changement, la température de l’eau est voisine de 38°C en Floride aux US. La biodiversité locale sera fortement perturbée dans la durée par ce phénomène. C’est donc un changement de repère et ce n’est plus une exception.
L’autre remarque est que le point haut de la température des océans se situe généralement en mars, pas en juillet. La dynamique des océans est affectée par le changement climatique et cela ne manquera pas d’avoir des effets sur l’évolution du climat. Les océans absorbent à hauteur de 89% la chaleur absorbée par la terre. La hausse des températures de l’eau va s’accentuer et perturber tous les écosystèmes. Le graphe en annexe montre la répartition de l’absorption de la chaleur entre les océans, la terre et les pôles.
Quel impact de ces vagues de chaleur ?
Les travaux de recherche récents montrent deux choses:
La première est que sans l’activité humaine, ces vagues de chaleur n’existeraient pas. La seconde est qu’au mois de juillet 2023, 6.5 milliards d’individus ont été percutés, au moins un jour, par une vague de chaleur résultant du réchauffement climatique.
1- Les analyses fines du World Weather Attribution (WWA) sur les contributions liées à l’activité humaine comparent les conditions de fonctionnement du climat sans activité humaine et avec l’activité. Selon leurs travaux, les vagues de chaleur que l’on connait ne peuvent pas être expliquées en dehors de la contribution liée à l’activité humaine.
Sans l’activité humaine depuis la révolution industrielle, de tels épisodes ne pourraient pas se produire et sur une telle échelle aux Etats-Unis et en Europe. En Chine, l’occurrence de telles vagues est 50 fois plus élevés.
En conséquence, de telles situations, dans les conditions actuelles, pourraient intervenir tous les 15 ans aux US, tous les 10 ans en Europe et tous le 5 ans en Chine.
Le monde a définitivement changé.
2- En juillet 2023, 6.5 milliards d'individus , 81% de la population mondiale, ont été exposés, au moins un jour, à une vague de chaleur résultant du réchauffement climatique. C’est le résultat majeur d’une étude récente de Climate Central.
Le Climate Shift Index traduit l'intensité de cette vague de chaleur par rapport à la normale (5 intensité la plus forte). Environ un quart de la population mondiale, en moyenne, a été exposé à une vague de chaleur de grande intensité (5) durant l'ensemble du mois de juillet).
Chaque jour, en juillet, au moins 2 milliards de personnes ont subi un risque de niveau 3 (situation où le changement climatique d’origine humaine a rendu les températures élevées au moins trois fois plus probables). Le pic est le 10 juillet lorsque 3.5 Mds de personnes ont été touché par un risque de niveau 3.
Conséquences de ces ruptures
Il y a dans cet environnement nouveau, une prise de conscience qui a deux types de conséquences opposées.
La première réflexion porte sur le rythme avec lequel les citoyens du monde doivent faire face.
Est ce que l’on peut encore être dans l’adaptation et l’atténuation pour converger progressivement vers la bonne trajectoire ? Ou bien faut il être plus brutal ? On observe bien cette divergence entre ceux qui, plutôt conservateur, pensent que l’on finira par rejoindre le bon profil, souvent parce que la technologie est perçue comme la solution et parce que l’évolution du monde est linéaire.
Et ceux qui sont plus extrêmes car considérant que tout retard est préjudiciable et qu’en conséquence il est nécessaire de faire prendre conscience à la collectivité de l’urgence d’agir. Le monde n’est alors pas linéaire mais peut être exponentiel dans sa dégradation.
En commentant les vagues de chaleur, Antonio Guterres indiquait récemment, à la World Meteorolical Organization (WMO) “Tout cela est parfaitement conforme aux prédictions et aux avertissements répétés. La seule surprise est la rapidité du changement”. Le monde n’est peut être pas linéaire et attendre les bienfaits de la technologies pourrait être vain sans changement de comportement.
La deuxième réflexion est qu’il y a aussi une rupture politique marquée. On l’a vu très directement en Allemagne où la question de l’interdiction des chauffe-eaux au gaz a provoqué une scission dans la société. La coalition au pouvoir a été fragilisée, notamment du côté des verts. L’opposition radicale de l’Afd a largement bénéficié de cette situation avec désormais des sondages très élevés. Les mesures visant à contrarier le changement climatique en modifiant les conditions de vie sont prises à partie pour ne rien faire et revenir au passé.
En Espagne, Vox bénéficie d’une situation très favorable après les élections générales de juillet. En Italie, au Royaume Uni, les gouvernements en place prennent des mesures visant à écarter les contraintes liées au réchauffement climatique. Aux Etats-Unis, les républicains ont indiqué vouloir revenir sur toutes les mesures prises sur le climat par l’administration Biden en cas de victoire au présidentielles de 2024.
Les mesures face au changement climatiques sont déjà une ligne de partage au sein des sociétés occidentales. Ne doutons pas que la multiplication des vagues de chaleur va exacerber ces divisions tant au sein de la société civile que lors des élections. A chacun d’en prendre conscience car cela ne sera pas neutre pour l’évolution des sociétés et des économies.
Il ne faut pas simplement construire des énergies renouvelables, même si c’est essentiel pour décarboner l'économie, comme le suggère certains propos lénifiants. Il faut changer de comportement car la seule solution passe par une réduction drastique de l’utilisation des énergies fossiles. En 2022, plus de 80% de la consommation primaire d’énergie provenait encore des énergies fossiles. Cela n’est pas compatible avec la neutralité carbone puisqu’il faut diviser ce chiffre par plus de 2 à l’horizon 2050 pour y arriver.
Investir dans les énergies renouvelables doit être au cœur de toute politique de lutte contre le réchauffement climatique mais c’est une condition nécessaire mais pas suffisante pour assurer le bien-etre de nos petits enfants.
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Philippe Waechter est chef économiste d’Ostrum AM