Comment construire le récit européen ?
L’Europe doit trouver un nouvel élan. Le monde a changé, n'est plus aussi complémentaire ni coopératif, et l’Europe doit s’inscrire dans une dynamique commune pour y faire face.
Les pays constitutifs de l’Europe n’ont qu’une histoire commune récente, même si l’histoire des pays européens est entremêlée à travers les siècles. Les cultures ne sont pas similaires, les langues sont distinctes et les institutions peuvent se ressembler, mais des différences importantes demeurent même après presque 70 ans depuis la signature du traité de Rome. C’est pour définir le cadre qui unira les peuples européens de façon cohérente que nous avons, collectivement, besoin d’un récit. L'Europe est une construction particulière et elle doit se définir un domaine spécifique.
La première question à poser est celle du cadre institutionnel. Pour résoudre les questions économique, politique et culturelle, serait-il préférable de définir un champ plutôt centralisé afin de donner de la cohérence à l’agenda européen ou opter davantage vers le polycentrisme ?
La centralisation pourrait ressembler à une forme d’État fédéral. Cette idée qui copie ce qui s’observe aux États-Unis permet, au centre, de créer des impulsions et a priori d’infléchir plus rapidement les comportements. La France a souvent évoqué ce cadre institutionnel afin de donner à l’État centralisé une capacité à orienter le cycle économique de court terme par la politique budgétaire.
L’autre option, celle d’une forme de polycentrisme, dans laquelle les différents pays peuvent contribuer selon un canevas plus lâche. Cette vision est celle qui, depuis les Lumières, a favorisé l’émergence des idées et des controverses qui ont mené à la révolution industrielle, inscrivant alors l’Europe au cœur du développement du monde. Joël Mokyr, notamment, montre que c’est la diversité d’une société ouverte sur le monde qui a donné l’avantage à l’Europe face à la Chine centralisée et moins adaptable.
Une dimension majeure commune aux deux approches est celle de l’ouverture au monde, puisque la croissance européenne est devenue très dépendante des travailleurs non européens depuis la pandémie. C’est ce que j’évoquais ici.
Un autre axe de réflexion doit être examiné. Parmi les thématiques discutées, économique, politique et culturelle, quels sont celles qui doivent s'inscrire dans un cadre commun et celles qui peuvent être plus locales ? Ou qu'est qui est discutable et qu'est ce qui ne l'est pas ? On peut imaginer que l’économie ait un statut plus global en raison du nécessaire rattrapage pointé par les rapports Draghi et Letta. La dimension culturelle pourrait être plus locale, comme cela se pratique déjà sur les questions sociétales.
La matrice du récit a deux colonnes (centralisé, polycentrisme) et deux lignes (global, local). Cette articulation sera la clef de l’autonomie nécessaire à l’Europe face au reste du monde. A nous tous de contribuer à sa construction.
Philippe Waechter est chef économiste chez Ostrum AM à Paris